Hadopi: et si on s'était trompé de bataille?

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Hadopi: et si on s'était trompé de bataille?

Postby Wasp » Fri Jun 05, 2009 1:20 pm

J'ai repris le titre de l'article proposé sur novövision ( hxxp://novovision.fr/?Hadopi-et-si-on-s-etait-trompe-de ) dont je trouve l'analyse très juste. A vous de vous faire un avis:


"Je lis toujours avec intérêt les billets du très sympathique et passionné Fabrice Epelboin, sur ReadWriteweb, et désormais sur Owni. Son engagement énergique anti-Hadopi était louable. Mais je ne peux m’empêcher de penser que lui et ceux qui l’ont accompagné dans son projet de réseau des pirates se trompent de bataille sur Hadopi et n’ont pas bien identifié les enjeux réels qui s’expriment dans cette affaire.

Un message brouillé et peu mobilisateur

Je ne suis pas loin de penser aujourd’hui que le sens qu’ils ont souhaité donner à leur engagement aura été contre-productif, contribuant à empêcher une large mobilisation sur le sujet (le seul terme de « pirates », repris comme étendard, était une erreur à mon avis. Lire aussi : Je ne suis pas un pirate, je suis un bateau ivre gonzo).

Ils ont défendu une approche très teintée d’une idéologie d’internet, que je qualifierai de libérale/libertaire, qui est en réalité très clivante et très loin d’être largement partagée en Europe, et notamment en France. Ils ont - surtout - tenté de déplacer le débat de son enjeu réel vers un affrontement entre les industries culturelles et la masse censément unie et aspirant à un idéal libertaire des internautes, alors que ce n’était pas là le débat décisif.

Du coup beaucoup n’ont rien compris à ce message brouillé, et les autres ne se sont pas sentis concernés.

Il y a quatre acteurs dans cette bataille

Il s’agit en effet d’une autre bataille, qui se joue à quatre. Elle oppose les industries d’internet, des télécommunications et de l’informatique, aux industries culturelles et médiatiques. L’enjeu, c’est le partage du bénéfice de la tonte des consommateurs sur internet. Et si le gouvernement intervient dans cette bataille, c’est en partie en défense des intérêts de sa clientèle, et en partie par effet d’aubaine, car il y trouve un moyen d’accroître son contrôle sur internet, qu’il estime aujourd’hui insuffisant. Quant aux artistes et aux auteurs, personne ne se soucie d’eux en réalité dans cette affaire, ils n’ont été mobilisés que comme des alibis.

Dans un billet marqué par une exaltation très prononcée de la technologie et une vision très naïve de la culture (publié sur Owni et ReadWriteWeb), Fabrice réécrit ainsi cette histoire d’Hadopi comme une bataille contre des « “adversaires” [qui] posent leurs argumentations sur l’ignorance et la peur en se raccrochant à des modèles mentaux obsolètes, appelés à la rescousse pour comprendre, dans l’urgence, la situation ». Le cœur de son argumentation est que « l’élite ne comprend pas LA technologie », qu’elle pense le monde comme si nous étions toujours au temps des « machines » alors que nous sommes entrés dans l’ère « digitale ».

Le véritable combat se joue en coulisses

Samuel, sur Authueil, avait quant à lui, dès le 6 mars, fort bien situé où se déroulait la véritable bataille : en coulisses (Les surprises d’Hadopi), à l’occasion du dépôt d’un mystérieux amendement « ballon d’essai » (mystérieux car tout porte à croire que le texte a été rédigé en réalité par un lobby. On ne sait pas lequel, mais on peut essayer de deviner ).

Parce que cet amendement, c’est du lourd, du très lourd. Il fait peser sur les FAI une menace de poursuites judiciaires telles qu’ils vont, spontanément, se lancer dans le filtrage. Ni plus, ni moins ! Les promoteurs de ce projet de loi hadopi révèle ainsi qu’ils sont conscients du caractère inefficace de ce texte, et qu’il est bien plus facile d’imposer le filtrage par les FAI. Mais comme il est politiquement délicat de le leur imposer, on fait peser sur eux une responsabilité qui les obligera à filtrer s’ils ne veulent pas être poursuivis. Car vous pouvez compter sur les majors pour que des poursuites soient engagées. Le message de Besson (le saltimbanque, pas le ministre) est explicite : l’ennemi, c’est free.

Contrairement à ce qu’avance Fabrice au sujet de la stratégie mise en œuvre par les industries culturelles et médiatiques (ces dernières étaient aussi de la partie et elles ont aussi fait passer quelques unes de leurs propres dispositions-maison à l’occasion d’Hadopi (modification du droit d’auteur des journalistes et création d’un statut des entreprises de presse en ligne), mais elles l’ont fait plus discrètement - lire sur Authueil : Les à-côté d’Hadopi), leur attitude montre bien que ces gens ont fort bien compris de quoi il s’agissait.

Des gens qui savent très bien ce qu’ils font

La bataille ne se déroule pas entre ceux qui ont compris « La » technologie, comme dit Fabrice, et ceux qui végètent dans un archaïsme crasse. Mais bel et bien entre des puissances industrielles et commerciales, qui ont au contraire un sens aigu de leurs intérêts respectifs.

Nous avons d’une part les industries des télécommunications, de l’informatique et d’internet, qui tirent actuellement tous les marrons du feu du boom du web ces dernières années. Elles encouragent les internautes (surtout les jeunes) à échanger tout et n’importe quoi sur le réseau (sans trop se soucier de savoir de quoi il s’agit, car là n’est pas le problème).

Il s’agit surtout de leur vendre toujours plus de matériels et de logiciels pour se connecter, toujours plus de meilleures connexions (le piratage a été incontestablement utilisé comme argument commercial pour le haut débit par certains opérateurs), en les encourageant à rester connectés le plus longtemps possible, pour y être exposés un peu plus encore à la publicité. Il ne s’agit nullement pour eux, contrairement à ce qu’espère benoîtement Fabrice, de favoriser la liberté et l’épanouissement des individus par le partage gratuit de la culture : c’est une stratégie purement commerciale !

Face à eux, nous avons les industries culturelles et médiatiques. Leur modèle économique est de produire des contenus intéressant ou séduisant le public et de les lui vendre. Au besoin en les « sur-vendant », en forçant un peu la vente par de judicieux groupages de produits unitaires (les albums, ou les journaux), et de sophistiqués programmes de promotion (StarAc pour les uns, idéologie du journalisme démocratique pour les autres).

La formidable entourloupe commerciale du web 2.0

Les industries d’internet ont espéré un temps réussir à remplir leurs tuyaux avec du contenu gratuit produit par les utilisateurs eux-mêmes (la formule était osée, mais assez géniale, il faut le reconnaître). Les entrepreneurs de la Silicon Valley et quelques consultants et intellectuels complices de l’opération ont alors monté une formidable opération de markéting pour encourager les internautes à produire eux-mêmes le contenu auquel on leur vendait l’accès : cette formidable entourloupe commerciale a été désignée sous le terme de web 2.0. De nombreux internautes naïfs ont marché dans la combine au point de se l’approprier et de croire qu’ils en étaient les acteurs...

Mais ça n’a pas suffi. Car les contenus que les internautes préfèrent échanger, ce ne sont pas tellement ceux qu’ils produisent eux-mêmes, que ceux qui sont produits... par les industries culturelles et médiatiques (le « cas » Susan Boyle est, à ce sujet, édifiant).

Or ces contenus sont protégés par une carapace juridique, qui se nomme la propriété intellectuelle, précisément conçue pour garantir aux industries culturelles et médiatiques leur exploitation exclusive. Pour assurer la circulation la plus fluide possible dans leurs tuyaux, les gestionnaires des tuyaux veulent des contenus gratuits, ou les moins chers possibles. Mais les internautes préfèrent les contenus professionnels, que leurs propriétaires souhaitent justement vendre le plus cher possible...

C’est là que le modèle économique des fournisseurs de tuyaux et celui des fournisseur de contenus à injecter dans les tuyaux révèlent leur profonde incompatibilité, voire leur antagonisme. Et c’est de là qu’est né ce bras de fer, dont Hadopi n’est qu’une bataille dans une guerre loin d’être achevée.

L’un finira par racheter l’autre...

Quand de tels conflits économiques se produisent, la logique veut que l’un rachète l’autre. C’est peut-être ce qui arrivera finalement, mais pour le moment aucun des combattants n’a jeté l’éponge et chacun continue à jouer la partie pour son propre compte. On dit, par exemple, Google tenté de racheter le prestigieux mais déliquescent New York Times, mais il serait encore trop cher. Il convient peut-être d’attendre encore qu’il se délite un peu plus, pour le ramasser finalement pour presque rien...

La première vraie bataille s’est déroulée sur ce que l’on appelle le champ des DRM (illustrée en France par le débat controversé sur la loi DAVSI). Il s’agissait « d’embarquer » la protection de la propriété intellectuelle au cœur même des fichiers numériques des œuvres « professionnelles » circulant sur le réseau, par des mesures techniques anti-copie. L’opération a échoué, sans qu’il soit tout à fait possible de discerner la part dans cet échec des réelles difficultés techniques pour mettre en œuvre de tels dispositifs, et celle, si ce n’est du sabotage, en tout cas de la mauvaise volonté des industries d’internet.

Hadopi constitue la seconde bataille, en attaquant le problème à un second niveau : pister sur le net la circulation des contenus protégés, et intervenir après l’échange par la sanction. On sait bien que cette approche à de grandes chances de se révéler inefficace et l’on a toutes les raisons de soupçonner, comme Authueil, qu’elle n’est destinée qu’à préparer l’allumage ultérieur du troisième étage de la fusée : la protection « à la source », par l’imposition du filtrage aux fournisseurs d’accès internet eux-mêmes.

« Le président de la République actuel a un plan »

Je suis très tenté de partager aujourd’hui la thèse fort documentée de Guillaume Champeau, sur Numérama : Décryptage : Sarkozy et son oeuvre de contrôle du net.

Le journaliste met bien en évidence la réelle cohérence en marche dans la progression de l’œuvre législative du gouvernement en matière d’internet, de Davsi à Hadopi, bientôt Loppsi...

« Le président de la République actuel a un plan ». C’est la première phrase du livre de François Bayrou, Abus de Pouvoir, et l’on peut la vérifier au moins en ce qui concerne le contrôle du net. (...)

Petit à petit, les pièces du puzzle s’assemblent et l’image se révèle sous nos yeux. Le projet de loi Création et Internet n’a pas encore été promulgué que déjà le morceau suivant s’apprête à faire son apparition. Projet de loi après projet de loi, décret après décret, nomination après nomination, Nicolas Sarkozy prépare méthodiquement les moyens pour le gouvernement de contrôler Internet... et les internautes.

Les intérêts d’un gouvernement, qui souhaite plus de contrôle sur internet et le montre clairement par son action, rencontrent manifestement ceux des industries culturelles et médiatiques dans le conflit qui les oppose aux industries d’internet, des télécoms et de l’informatique. De là à imaginer qu’une alliance se soit formée... peut-être un certain soir... au Fouquet’s...

Et les internautes dans tout ça ? Et les artistes, et la « culture libre » de Fabrice, la défense d’un internet du partage libre de la culture ? Sérieusement, vous croyez vraiment que c’est de ça qu’il est question ?

Oui mais « LA » technologie, m’objecte déjà Fabrice, est libre, gratuite et coopérative par nature, presque par essence ! Cette entreprise ne marchera jamais car elle va contre l’esprit de « LA » technologie, qui ne se laissera pas faire.

Un combat de défense du citoyen-consommateur

Pour l’instant, à mon avis, les « pirates » sont surtout intervenus dans ce débat en supplétifs involontaires (mais probablement bienvenus) de la défense des intérêts des industries d’internet. Et c’est là que ça me pose problème.

La défense des intérêts de Google, Microsoft, Yahoo !, Apple, Intel, Orange, Free, et les autres, ce n’est pas mon combat. La défense d’une idéologie de la technologie ou de la « free culture » non plus.

S’il apparait plus nécessaire que jamais d’intervenir dans la bataille assez titanesque qui se joue en ce moment, c’est au nom d’autres valeurs que je suis prêt à le faire : celles de la défense du citoyen, qui est aussi un consommateur. C’est peut-être moins exaltant, mais ça me semble plus réaliste et concret, bref, pragmatique. "
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