Bonjour à tous.
Suite à la demande qui m'a été faite en mp par GUILL4UME, je rejoint le débat en lui répondant directement, mais publiquement.
Que nul ne s'offense donc du fait que j'utilise la seconde personne du singulier; personne n'est exclu, bien entendu.
@GUILL4UME, donc...
- quelle est la nature du cyberespace?
- qu'elle est la nature des hackers?
- qu'elle est la nature d'une cyberguerilla?
Je me permet de rajouter une question à ton plan:
- qu'elle est la nature de Big Brother?
Je te laisse le soin de la reformuler à ta guise, je pense que tu en auras compris l'essence. Cette question devrait venir en seconde position car, d'une certaine manière, c'est la présence de cet entité "adverse" qui a conditionné la réaction de beaucoup de Hackers, qui sont passés du statut de programmeurs à celui de "guerilleros"; autrement dit, si tu tiens à aborder la "cyberguerilla", tu dois en présenter les deux protagonistes principaux.
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- quelle est la nature du cyberespace?
Le Cyberespace est par nature un espace virtuel d'échange et de partage. Depuis la création du premier réseau au sein du MIT, il sert à échanger de l'information, et ce librement et gratuitement. Autrement dit, c'est un outil communautaire, il l'a toujours été, et le fait que cette communauté aie aujourd'hui une amplitude mondiale n'y change rien.
Il est inutile d'en dire plus long, chacun conviendra qu'en découvrant le web aujourd'hui ce n'est pas vraiment l'image qui est perçue...
Alors que c'est il passé?
Imagine le web comme une forêt vierge, occupée par une communauté de bons sauvages vivant du troc; ils vivent en paix, jusqu'au jour où arrivent des entrepreneurs avec leurs bulldozers, arguant que l'espace serait bien plus utile s'il était occupé par des centres commerciaux... Les bons sauvages connaissent la forêt mieux que quiconque, alors ils se cachent, et continuent de vivre du troc - devenu illégal, car pour les entrepreneurs seul existe le rapport vente/achat, auquel nuit la culture du don.
Cela aurai pu rester ainsi, finalement; mais non: les entrepreneurs veulent toujours plus. Plus d'espace, plus de centres commerciaux, plus d'argent, plus de pouvoir... Mais un massacre en règle serait s'attirer les foudres de l'opinion publique; mieux vaux d'abord retourner celle-ci.
Les médias font donc des bons sauvages des parasites nuisibles au bon fonctionnement des centres commerciaux si indispensables aux gens: chaleureux, accueillant, propres à leur fournir tout ce dont ils pensent avoir besoin.
De là, tout bons que soient les sauvages, faut pas pousser quand même... La première phase est donc engagée: connaître l'adversaire.
- qu'elle est la nature de Big Brother?
Image emblématique de de la toute puissante domination, du contrôle de la masse, Big Brother est depuis longtemps sorti de l'image cinématographique que lui octroya jadis le film "1984". Ce n'est plus une voix, mais une entité générale bien infiltrée dans les esprits.
Big Brother est la petite voix qui pousse à feuilleter les journaux de propagande commerciale, qui interrompt les films pour faire de la réclame, qui insinue que vendre est mieux que donner, qui dicte aux gens que le confort est un besoin, que c'est essentiel... Ce message est si omniprésent que toutes les valeurs non commerciales disparaissent derrière son ombre, dont l'opacité médiatique est redoutable.
Non, Microsoft n'est pas la Bête de l'Apocalypse, et Bill Gates n'est pas le Grand Satan. Ce couple n'est que la représentation microcosmique de la société actuelle: argent, pouvoir, envers et contre tout ce qui risque de lui nuire.
Informatiquement, cela s'est traduit par l'apparition des licences propriétaires, de la privatisation, de la course au monopole, de l'escalade technologique vers le "toujours plus et toujours mieux" qui oblige le gamer moyen à refaire son ordinateur tout les trois mois pour pouvoir jouer aux derniers jeux. Rien de très différent de la vie quotidienne IRL, finalement.
Là où cela devient problématique, c'est quand cette entité accède au pouvoir suprème et devient soudain capable de créer des lois, et de les faire appliquer. Quand la logique commerciale remplace la logique sociale, ce n'est plus un réseau informatique qui est en danger: le problème devient planétaire.
C'est une chose que de voir la forêt qui vous abrite se transformer en centre commercial. C'en est une autre que de se rendre compte que toutes les forets de la planète vont être rasée pour les mêmes raisons, et que bientôt des mots comme "Liberté", "indépendance", "gratuité" ne seront plus que des souvenirs que nous raconterons à nos petits enfants.
D'un coup, les bons sauvages, ceux-là même qui avaient su utiliser toutes les ressources de la forêt pour communiquer, évoluer, apprendre encore et toujours; ceux-là qui connaissent la moindre feuille, la moindre branche et savent s'en servir... Ben ceux-là, ils sortent les crocs, parce que sans forêt, ils seront réduit à emménager entre des murs qui ne permettent aucune évolution, aucune créativité; qui ne permettent rien de plus que ce qui n'est pas interdit, à savoir et en premier lieu: d'en sortir.
- qu'elle est la nature des hackers?
Ce n'est pas facile, quand on est issu d'une culture libre de donner et de recevoir, de voir son espace vital usé et exploité jusqu'à l'étouffement. C'est difficile de voir pousser partout des barrières et des immeubles là ou auparavant on regardait l'information courir librement. C'est difficile de s'entendre dire que la liberté est illégale, que l'indépendance est interdite, que le partage est un crime...
Et de continuer malgré tout, conscient des risques que cela suppose, conscient des conséquences que cela peut avoir.
Les Hackers ont créé l'Internet, puis l'ont donné au monde. Le monde leur dit maintenant: "on utilise votre création à notre manière, on la met sous licence, elle est à nous; soit vous l'acceptez avec ses nouvelles règles, soit vous partez."
C'est peut être louable commercialement parlant, mais moralement c'est puant.
Par essence, les Hackers sont des créateurs. Ils utilisent leur intelligence au service de leur créativité, et en partage les fruits avec ceux qui le veulent, sans distinction de race, d'ethnie, d'âge, ou de sexe. Pas de distinctions tels que les diplômes ou le rang social. Une seule valeur: celle des capacités de l'individu et de sa faculté à être utile à la communauté. Rien de plus, mais rien de moins.
Cette communauté a été baptisée Hackerdom par Eric S. Raymond, qui lui a également donné un emblème.
Au sein de Hackerdom, il y a de nombreux rangs, dont les principaux sont "Newbie" - soit débutant, "Wannabe" - soit Hacker en devenir, et "Hacker". Ce dernier rang est honorifique, en ce qu'il est décerné par la communauté: si tout le monde dit que vous êtes un Hacker, alors vous l'êtes. Un point c'est tout.
Lamers, Script Kiddies, Crackers, Crashers... Tous sont qualifiés selon leurs compétences et leurs activités, et notamment sur le caractère éthique de celles-ci. Les grades sur fond de chapeau colorés sont récents - à peine une dizaine d'année, et sont beaucoup trop généralistes; basés sur la distinction "bien/mal/ça dépend des fois", cette qualification ne tient compte QUE de l'éthique - qui est une notion abstraite et très relative, en ne tenant que très peu compte des capacités de l'individu.
Oui, les bons sauvages respectent et valorisent les capacités individuelles. Certains ont mauvais caractère, d'autres sont des criminels, d'autres sont juste des parasites, certains sont des artistes... Mais tous sont utiles.
Quand les plus jeunes vont jeter des pétards ou des boules puantes dans le centre commercial, les plus anciens les sermonnent, leur explique ce qui est juste, et les renvoie à leur apprentissage - non sans dissimuler un léger sourire... Car après tout, ils ont été jeunes eux aussi...
Ce qui n'empêche pas que les anciens sont aussi des guerriers, et que la connaissance est leur meilleure arme.
Oui, ils ont l'air sympa - et ils le sont d'ailleurs. Derrière leurs allures combatives voire égocentriques, ce ne sont jamais que de grands enfants. Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que les pétards et les boules puantes des adultes n'ont pas les même capacités que celles des enfants. À l'échelle se serait plutôt de la dynamite et du gaz neuro-toxique.
Dans un monde ou tout est informatisé, faudrait quand même voir à les prendre au sérieux.
Alors justement, quelles sont leurs revendications? Aucune. Les Hackers veulent juste qu'on leur foute la paix. Ils veulent utiliser le réseau pour créer et partager, pour échanger, librement, comme ils l'ont toujours fait. Rien de plus, mais rien de moins. Ils veulent continuer d'exercer leurs droits à la libre expression, au libre échange, au libre apprentissage; ils veulent continuer de satisfaire leur curiosité en s'amusant, ensemble.
Les Hackers n'ont pas déclaré la guerre. Dans un Cyberespace occupé, ils font de la résistance.
- qu'elle est la nature d'une cyberguerilla?
Voilà, nous avons donc nos deux protagonistes, le jeu peut commencer. Celui du chat et de la souris, du gendarme et du voleur, de l'autorité contre la liberté, du commerce contre l'art.
L'affrontement est inégal, bien sur...
Les Hackers connaissent le Cyberespace, et pour cause: ils l'ont créé. Ils savent se fondre dans la toile, lui donner la forme qu'ils veulent, l'ouvrir et la fermer comme et quand bon leur semble, faire apparaitre ou disparaitre des éléments, créer ou détruire. Mais le fait d'en avoir les compétences n'induit pas le fait de le mettre en pratique, ni même d'en avoir l'envie.
Non, la seule chose qui fédère véritablement, c'est la menace.
Et la menace est de plus en plus forte, de plus en plus présente, de plus en plus oppressante. Elle commence à entrainer des réactions d'auto-défense. Bien entendu, cela arrange les médias qui peuvent ainsi accuser la Communauté de toute nouvelle infection virale, de tout nouveau dysfonctionnement...
Mais en laissant Big Brother prendre le pouvoir, ils ont élargi le champ de bataille à la vie réelle, afin de pouvoir frapper en dehors du réseau, là où ils ont du pouvoir, là où il ne sont pas de parfaits incompétents. Ils espèrent ainsi déplacer le combat sur leur propre terrain. On peut supposer qu'ils espèrent ainsi "couper les têtes"; sauf qu'il n'y en a pas de "têtes" - ou encore: il n'y a que des têtes...
Il n'y a pas de meneurs, il y a un idéal.
Et comme cet idéal n'est pas matériel, il n'est pas destructible.
L'affrontement est donc inégal, et il est perdu d'avance. Si ce n'est par une "Cyberwar", ce sera à l'usure. Car quand les bâtiments commenceront à se fissurer, qu'ils commenceront à être désertés, puis abandonnés, alors la forêt reprendra ses droits, peu à peu, lentement, mais inéluctablement. Et les bons sauvages reprendront leur place au soleil, et continueront à exercer leur droit comme ils l'ont toujours fait.
Leur droit inaliénable au partage et à la connaissance.
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Voilà. Je sais, c'est idéaliste, parfois à la limite de l'utopie, et je ne suis pas certain que cela puisse t'être d'une quelconque utilité.
Mais aujourd'hui, ici et maintenant, c'est comme ça que ça me vient.
Merci à ceux qui auront pris la peine de lire tout ça jusqu'au bout, et à tout ceux qui sont encore à bord, prêts à hisser haut les voiles. Le vent tournera matelots, le vent tournera.
Pour la Liberté...
HackAngel